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Un peu d'histoire

Un article de libération rappelle les riches heures des magasins d'électronique du coté de la rue de Reuilly. Si vous ne le trouvez plus, le voici ci-dessous :

Article de Libération du 20 novembre 1995 ABDI Nidam

En février dernier, Raphaël Nahoum meurt à 84 ans en allant rejoindre, comme chaque matin, ses magasins Teral (Télévision-Radio-Lyon) de la rue Traversière. Non loin de là, avenue Daumesnil, une grande surface de 10.000 m2 consacrée à la micro-informatique était en construction. Le Surcouf a été inauguré en octobre. S'il y a un commerce à Paris dont le XIIe arrondissement veut être La Mecque, c'est bien celui de l'accessoire électronique. Une histoire qui a commencé au lendemain de la guerre et s'est poursuivie au fil des décennies. Simplement, les résistants gaullistes débrouillards d'hier ont laissé la place à des techniciens-informaticiens en col blanc.

Héritier des magasins Teral, Patrick Nahoum se rappelle l'époque où son père achetait des stocks aux militaires américains et les revendait à la pièce: «On triait des lots de lampes et on les marquait à l'aide d'une encre verte.» Ancien résistant, responsable des transmissions à Lyon, le père Nahoum a retrouvé dans le XIIe le général de Benouville, futur «patron» politique de l'arrondissement. Dans cet immédiat après-guerre, les Américains, installés à la caserne de Reuilly, géraient leurs surplus de matériel électrique «en pièces détachées». Des câbles, des milliers de tubes de Général Electric, des composants électroniques surtout, dont on pouvait tirer de l'or en ces temps de découverte dans les transmissions. Et les soldats faisaient du troc avec des ferrailleurs et, surtout, avec des hommes fraîchement sortis de la Résistance et à la recherche d'un métier.

Pour se lancer dans «la pièce détachée», Raphaël Nahoum achète le local d'un bougnat rue Traversière, avec, pour associé, Marcel Behar. Dix ans après, recyclé dans la vente de radios et téléviseurs avec Teral, celui que l'on surnomme le «Général du XIIe» est le premier à penser l'assemblage en un seul bloc, tuner, ampli et tourne-disque: c'est-à-dire, et c'est peu connu, que Raphaël Nahoum est l'inventeur de la hifi.

Raphaël Nahoum et Marcel Behar sont morts. Restent deux figures historiques dans cet arrondissement de l'électronique: Jean Cinbotarin, aujourd'hui à la retraite, et Georges Lindner. Le premier crée Cibot-Radio, rue de Reuilly, en 1948, l'année même où naît le transistor. Mais à cette époque de vaches maigres, de nombreux Parisiens se lancent dans le montage de leur propre radio. C'est la grande période de la revue Haut Parleur qui fournissait les plans pour réaliser soi-même des boîtes à musique. Cibot-Radio devient le haut lieu de la vente du composant électronique et, surtout, du tube. Par un effet boule de neige, d'autres magasins voient le jour. Longtemps, ces établissements ont gardé la même technique de vente, celle du comptoir avec plusieurs vendeurs qui se bousculent le long d'étroits couloirs tapissés de petits casiers où se trouvent les pièces, un peu comme dans les vieilles merceries.

Jean Cinbotarin ne résistera pas à l'arrivée du micro-processeur et de la miniaturisation des pièces électroniques dans les années 70. Lui qui avait, comme tant d'autres, lié son destin à la chaîne de magasins Naza, devra à la suite de son sponsor déposer bilan et fermer boutique en 1986. L'histoire de l'électronique dans le XIIe aurait pu connaître son épilogue, mais deux hommes flairent le bon coup et, à la barre du tribunal de commerce, rachètent Radio-Cibot pour la transformer en Cibotronic. Avec Brahim Barkati, ancien de la télévision, et Azeddine Babou, ingénieur des mines, tous deux d'origine algérienne, s'achève le temps des vendeurs derrière les comptoirs. «L'avenir est à la grande distribution, au numérique, aux pièces de CD-Rom, à l'accessoire de l'informatique», rappelle Azeddine Babou. Cibotronic a quitté le 16 octobre les établissements historiques de la rue Reuilly pour ceux de l'avenue du Général-Michel-Bizot: 470 m2 destinés à la vente et 450 m2 au stockage avec 22.000 produits référencés. Une sorte de grande surface de la pièce électronique vendue en libre-service.

Les patrons de Cibotronic ne cachent pas les avantages du sud-est de la capitale. «On y est au contact d'une clientèle déjà fidélisée depuis des décennies, tels les mordus de la transmission, les fans du montage électronique, les artisans des ateliers de réparations...»

Cette poussée des «modernes» dans les lieux historiques de l'électronique parisien n'inquiète pas le dernier des anciens résistants de l'arrondissement, Georges Lindner, décoré de la croix de guerre, spécialiste mondialement reconnu des composants pour automatismes et commutations. Originaire de Hongrie, diplômé d'HEC, ce fervent gaulliste et ami de Jacques Chirac commence, comme les autres, une carrière d'acheteur-vendeur de pièces électriques reprises aux Américains. Mais lui s'installe d'abord dans un grenier du XIIIe arrondissement. Rapidement, il cherche un créneau et se spécialise dans une seule pièce: le relais miniature, ancêtre du semi-conducteur, créé en 1951 par l'industriel Siemens. Et il rejoint le XIIe, rue Crozatier, où, en 1955, il ouvre boutique à l'enseigne de Radio-Relais. «Je vends le relais au comptoir. Il a résisté à toutes les modernisations. On le trouve partout, dans la voiture, l'ascenseur, la machine à café, le radio-réveil...» Depuis quarante ans, Georges Lindner guerroie contre les «copieurs» de sa pièce: Kammrelais, toujours fabriquée par Siemens. La longue liste de ses prestigieux partenaires est la meilleure preuve de la bonne santé de son produit: Peugeot, Schlumberger, SNCF, EDF, Wabco Westinghouse, Lyonnaise des eaux, Shell, Matra... Bref, Georges Lindner voit encore un avenir radieux pour ses établissements de la rue Crozatier alors que, rue Reuilly, Jean Cinbotarin, qui habite au-dessus des siens laissés à l'abandon, est désormais injoignable. Ainsi va la vie, dans l'arrondissement de l'électronique.

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